Sculpter l'humanité.
Entrevue avec Yvon Longpré, artiste sculpteur.

photo par Robert Séguin, 2017, Yvon Longpré, CréAction, Sculpt'Heure, Imag'inateur
Tout artiste est par essence humain, et, de son imaginaire nourrit par la vie, Yvon, ce créateur de forme authentique, projette toute l’humanité qui le caractérise, ainsi que ses contemporains, dans des œuvres en trois dimensions. Je pourrais le qualifier simplement de sculpteur, mais ce serait réduire à une simple performance technique des réalisations qui sont avant tout la matérialisation d’une vie intérieur intense et sincère. Yvon, pour moi, c’est un peu comme Gepetto, capable de transformer un vulgaire morceau de bois en un magnifique et véritable petit bout d’humanité, révélant ainsi le meilleur de nous-même.
Alors voilà, j’ai rencontré Yvon Longpré, et comme nous sommes deux artistes, nous avons parlé de ses intentions, ses motivations et de son quotidien d’artiste.
H- J’aimerai que tu me dises pourquoi tu crées des formes?
YL- C’est viscéral. C’est l’expression de ce que je suis, de ce qui m’habite. Je me révèle par mes sculptures.
H- Tu utilises le métal…
YL- Il faut d’abord dire que mon travail est tout en trompe l’œil. C’est une facétie. On a l’impression qu’il s’agit de métal et/ou du bronze, mais il n’en est rien. Et je veux qu’il en soit ainsi, que l’observateur croit que la sculpture est de fer et de bronze, et très lourde. Lors de mes études à l’UQAM, au cours de sculpture, je cherchais un moyen technique simple, rapide et peu couteux de produire des sculptures. Pour arriver à mes fins, je me suis rappelé les années passées au travail du verre. J'ai adapté une technique du travail en aplat et mes mains ont fait le reste. J'utilise aussi beaucoup de métaux récupérés, entre autres les lamelles des balais mécaniques qui nettoient les rues de Montréal. Par ma façon de travailler, j'ai le sentiment de pouvoir m'exprimer pleinement et d'envisager tous les possibles, du quasi figuratif à l'abstraction et ce sans aucune frontière.
Dans mon corps, Yvon Longpré, 2017

H- Il est toujours difficile pour moi de débuter et de finir une œuvre, comment vis-tu ce début et cette fin de processus créatif? Et comment débutes-tu une nouvelle sculpture?
YL- Imaginer une sculpture est facile pour moi. Les idées foisonnent. Je débute toujours par des croquis et des notes techniques. Ensuite j'y réfléchis, je visualise mon projet et le construit en réglant avant même le début du travail certains points techniques. Bien entendu, je dois parfois modifier mon approche. Le matériau résiste, impose le respect, nous rend humble. Comme mon projet est déjà bien réfléchi, le processus créatif se déroule bien du début à la fin
Je prends toujours un moment de recul avant de déclarer mon travail terminé. J'y ajoute ou y retire parfois un dernier élément. Ma technique de travail me permet facilement de modifier en cours d'exécution. Je peux modifier la position, changer le support, la base, refaire une main, grossir ou diminuer une partie du corps. Je le fais à l'occasion, mais un temps arrive où il faut déclarer le travail terminé. À ce moment, une pensée ressurgit immanquablement : la prochaine sera plus belle, plus grandiose, mieux exécutée et de toute façon tout passe par le travail sans cesse renouvelé. Sur cette réflexion, la sculpture ne m'appartient déjà plus. Je passe à la suivante.
H- Parlons alors de tes œuvres, sont-elles des sculptures pour toi ou tout autre chose?
YL- Mes œuvres sont les expressions de ma sensibilité, de mes démons, de mes états d’âme. Peut-on parler d’art thérapeutique? Surement.
H- Je pense qu’effectivement, l’art visuel étant un mode d’expression, elle permet à l’artiste d’exorciser ses démons, ou de transmettre ses ressenties, sensations, sentiments, visions, … dans tous les cas c’est une ouverture à l’autre. D’ailleurs que cherches-tu à représenter?
YL- Mes sculptures sont surtout la matérialisation d’une image ou d’une pensée. Je ne cherche pas la beauté, je cherche la sincérité.
H- Alors qu’est ce qui te touche le plus?
YL- La condition humaine et nos réelles motivations, c’est ce qui m’interroge, les grandes questions de ma vie. Les exclus ont été et seront toujours un de mes thèmes de prédilection. L’humanité est mon univers.
Le cercle, Yvon Longpré, 2017

H- Aujourd’hui, qu’est ce qui te tient motivé?
YL- Ma motivation c’est pouvoir exprimer mon univers intérieur, mais aussi le temps! Incroyablement présent, qui fuit si rapidement, qui m’oppresse…J’ai 60 ans. Je fais de la sculpture depuis seulement 3 ans. J’essaie de rattraper le temps, d’en arrêter la folle course. Mon leitmotiv : ‘’Maintenant, pas hier ni demain.’’
H- J’ai longtemps pratiqué la musique et pour moi, elle avait cet effet d’apaisement que me procure aujourd’hui la pratique du dessin et de la peinture, qu’en est-il pour toi, ressens-tu cet apaisement, cette sérénité qui t’envahit comme si tu étais dans un monde parallèle?
YL- Est-ce que la sculpture m’apaise? Grande question! Sincèrement, je ne crois pas. Je peux dire toutefois qu’elle m’envahit. Les heures à dessiner des croquis, à réfléchir, et passées en atelier sont maintenant mon quotidien. Mon sens créatif est toujours en alerte. Oui, je suis dans mon monde. Je suis Gargantua. Jamais rassasié, une sculpture après l’autre éternellement…
H- Y’a-t-il une phrase, une pensée, une personne, une nation, une œuvre…. Qui revient sans cesse dans ton esprit?
YL-Je peux te donner trois citations qui ne me quittent pas:
Le sculpteur québécois Pierre Leblanc disait : ‘’Je suis devenu sculpteur par la forces des choses, j’étais un mauvais peintre.’’
Une pensée de Ptah-Hotep (2563-2423 av. J.C.) : ‘’Sois juste, généreux, sincère. Suis ton cœur tant que tu vis. Ne sois pas fier de ton savoir. L’art n’a pas de limite. Et aucun artiste ne possède la perfection.’’
Et enfin, August Rodin : ‘’Combien l’humanité serait plus heureuse si le travail, au lieu d’être pour elle la rançon de l’existence, en était le but.’’.
Merci à Yvon Longpré, sculpteur d’authenticité, pour ce partage amical et pour cette humanité que nous aimons tant.
Entrevue réalisée par Henssé, le 18 mai 2017.
Le Samouraï, Yvon Longpré, 2017
